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Tunisie : La loi anti-terroriste inquiète les avocats

Le projet de loi anti-terroriste et de blanchiment d’argent n’a pas fini de faire couler de l’encre. Il suscite de nombreuses interrogations et de craintes, notamment de la part des journalistes et avocats. Quand les journalistes y voient un moyen de frapper la liberté d’investiguer, les avocats craignent une atteinte au secret professionnel, et une menace pour le métier.

Farhat Ettoumi, avocat, a déclaré ce mardi, lors d’une séance de lecture du projet de loi, que la protection du secret professionnel est une condition pour garantir l’indépendance du barreau. « C’est surtout tenir ses engagements envers les conventions et pactes internationaux, et le cadre légal du barreau. Je pense que protéger le secret professionnel qui lie l’avocat à son client, c’est protéger tout un système juridique », a-t-il dit ajoutant que l’avocat ne représentait aucune menace pour le bon fonctionnement de l’enquête, contrairement à ce que le laisse entendre le projet de loi, qui impose à l’avocat la dénonciation de son client.

«Nous émettons des réserves au sujet de plusieurs textes où l’avocat  a été écarté, et sur les éventuelles informations concernant l’avenir, que pourrait détenir l’avocat. On ne peut pas juger les intentions. Nous devons annuler ces articles », a dit Farhat Ettoumi.

Les institutions chargées de contrôler le travail des avocats, restent selon lui, les plus habilitées à juger le travail des hommes de loi.

Le bâtonnier, Mohamed Fadhel Mahfoudh,  a déclaré pour sa part que les avocats « connaitront des jours difficiles, à cause de la lutte anti-terroriste », tout en appelant à ce que les lois soient en adéquation avec la constitution, selon ses dires.

L’avocat Abdennaceur Aouini, a passé en revue le projet de loi, sujet de la polémique. Le projet de loi est composé de 139 articles, dont 86 en rapport avec le crime terroriste, et 50 articles, portant sur le blanchiment d’argent. « Ce qui retient l’attention, c’est les changements apportés à la loi de 2003, pour donner naissance à l’actuelle version », a-t-il dit. Il a expliqué que la grande criminalité nécessitait une juridiction dédiée, telle que l’exige les traités internationaux. « Cette loi doit protéger entre autres, les monuments et le patrimoines historiques. Mais dans ce projet de loi, cet aspect n’est pas évoqué, pourtant lors de certaines attaques terroristes, le patrimoine historique a été touché », a dit Laaouini.

Ce dernier a aussi parlé de la dimension symbolique de certains articles du projet de loi, qui sont, selon lui, un moyen de dissuader les auteurs des crimes. « Le législateur a fait ressurgir la peine de mort, et a gonflé les amendes en cas de forfait. Sauf qu’il s’agit là d’une nouvelle forme de menace, à laquelle il faut une nouvelle forme de politique juridique, et une réforme du système pénitentiaire  », a-t-il dit.

Autre point, le projet de loi stipule qu’il est possible de poursuivre en justice une entité morale, « dont il est difficile d’évaluer l’impact d’un acte terroriste », a expliqué l’avocat, avant de critiquer la centralisation des affaires de terrorisme.

En effet, dans les affaires de terrorisme et de blanchiment d’argent, les procédures de poursuite, doivent passer selon le projet de loi, par le pôle judiciaire de lutte anti-terroriste qui est sous la tutelle du tribunal administratif de Tunis. « Je considère que le but de cette décision est d’imposer aux juges d’instruction de continuer à travailler sur les mêmes dossiers, même si ceux-ci s’avèrent compliqués et complexes comme l’affaire de Feu Chokri Belaid », a-t-il dit.

Laaouini a évoqué un autre point, la création de la commission nationale de Lutte anti-terroriste, présidée par un juge, et qui serait sous l’autorité de la présidence du gouvernement. Une commission qu’il qualifie de « politique par excellence ». Elle serait chargée de veiller au respect des traités signés par la Tunisie, « ceci devrait être du ressort du ministère des Affaires étrangères. Il existe des services spécialisés au sein de ce ministère, qui font déjà ce travail», a critiqué Laaouini.

Concernant les procédures légales, Laaouini a exprimé son objection au sujet des articles concernant l’obligation du signalement. «Notamment l’impératif de signaler un parent (ascendant ou descendant), en cas de doute sur un éventuel passage à l’acte. Les parents des coupables peuvent être la cible de poursuite en cas de non signalement. Les avocats aussi sont privés de leur droit au secret professionnel », a dénoncé Laaouini.

Quatre autres nouvelles dispositions ont été apportées au projet de loi, à savoir l’écoute téléphonique, la vidéosurveillance, la surveillance audio, et l’infiltration.

Article de Chiraz Kefi

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